Atelier: Un nationalisme en trompe l'oeil. Mouvements de jeunesse et sports dans les décolonisations africaines (1930-1970) (Nicolas Bacel et Thomas Riot)
Le « piratage » (Anderson, 1982) par de nouveaux Etats-nations des discours, symboles et stratégies nationalistes nés en Europe entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle est intimement corrélé avec l'imposition de certains standards. Ces processus sociohistoriques de grande échelle jouent avec les « embodied, constituting character of everyday practices and cultural categories of understanding » (Goswami, 2002, p. 770), permettant la mise en œuvre d'un « banal nationalism » (Billig, 1995). Celui-ci se traduit par la quotidianisation (Certeau, 1990) de cette appartenance idéologique. En l'occurrence la position originale du Ghana nkrumahiste (19576-1966) est de non pas mettre en scène le seul nationalisme ghanéen, présent en toile de fond, mais le panafricanisme « nkrumahiste » (Nkrumah, 1965, 1964, 1963a, 1963b, 1950).
La création du mouvement de jeunesse des Ghana Young Pioneers est le produit de multiples entrelacements et allers-retours entre des sources d'inspirations impériales telles que le scoutisme (Denis, 2003) et les versions radicalisées de celui-ci (Komsomol, HitlerJugend, Pionnierisme) (Allman, 2013; Gounot, 2013; Kater, 2009; Woronov, 2007) et leur appropriation à Accra. Comment l'appropriation de pratiques physiques occidentales voire impériales peuvent elles permettre aux jeunes Ghanéens de s'affirmer en tant que citoyens d'un Etat indépendant, anticolonialiste et panafricaniste ?
Je tâche d'y répondre en m'appuyant sur des archives collectées en Grande Bretagne et au Ghana entre 2015 et 2016 et sur les ouvrages écrits par les membres du mouvement et le Président Kwamé Nkrumah. Il s'agit d'analyser les pratiques des jeunes pionniers ghanéens au regard de leur rôle idéologique au sein du nouvel Etat. D'une part, les activités ludiques, sportives et para-militaires pratiquées par les pionniers constituent un medium essentiel d'intériorisation des affects, des techniques, des normes et valeurs (Bourdieu, 1972) via lesquels ils performent (Butler, 1990) ainsi leur identité de citoyens panafricains. Mais cette performance est aussi démonstration : au travers de défilés, de compétitions, on observe une exhibition destinée aux citoyens ghanéens, mais aussi aux pays voisins, à l'ancienne puissance coloniale ou encore à l'allié soviétique.
L'analyse de cette double performance permet de comprendre comment les discours panafricains du régime se sont doublés d'un processus plus souterrain de subjectivation politique, reflet et moteur du piratage auquel s'est livré le régime nkrumahiste vis-à-vis des mouvements de jeunesse impériaux et de leurs déclinaisons affiliées aux projets totalitaires de l'Allemagne nazie et du bloc de l'Est.
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