Confronté à des problèmes de gestion foncière, l'Etat béninois s'est engagé dans une réforme qui a débouché sur l'adoption d'un code foncier et domanial en 2013. La réforme vise à limiter les achats massifs de terres rurales. Malgré la mise en œuvre de cette politique publique, on constate que de nombreux accords de cession foncière à grande échelle sont formalisés au niveau des villages béninois au profit d'investisseurs grâce à l'interférence d'acteurs extérieurs à l'Etat (Lascoumes et Le Galès, 2012) comme c'est le cas des comités de gestion des patrimoines familiaux. Comment perçoivent-ils les investissements fonciers ? Quel rôle jouent-ils dans la formalisation des transactions foncières monétaires à grande échelle ? Quels rapports, ces comités entretiennent-ils avec les agents de l'Etat en charge des questions foncières ?
Loin des analyses des marchés fonciers [3] ruraux, l'étude s'attache à analyser le profil et les motivations des comités de gestion des patrimoines familiaux d'une part, et les stratégies qu'ils mobilisent pour construire leurs légitimités (Abélès,1990) dans le cadre de l'élaboration des accords fonciers ainsi que les rapports qu'ils entretiennent avec les services publics d'autre part.
Les résultats montrent qu'aujourd'hui de nombreux jeunes villageois illettrés et/ou lettrés partageant des liens de parenté forment des comités de gestion des biens fonciers de leurs lignages. Les comités fonctionnent comme des conseils d'administration et agissent au nom des lignages grâce aux procurations qu'ils obtiennent auprès des légataires de chaque sous-groupe lignager. Ils facilitent la vente ou la cession par bail de terres dont les superficies varient entre 20 à 1500 hectares à des investisseurs fonciers nationaux et étrangers. La prolifération de ces accords de cession foncière à grande échelle dans les villages étudiés est motivée par la volonté des comités de gestion des patrimoines familiaux de contrôler les terres coutumières. Trois objectifs spécifiques sous-tendent cette envie de contrôler : premièrement, contrer les ventes foncières frauduleuses ; deuxièmement, créer des opportunités de développement rural à travers les investissements fonciers ; et troisièmement, formaliser les frontières de ces « terres de clans » afin d'éviter des litiges potentiels futurs liés à ces terres. Dans les villages, ils existent des rapports de connivence entre les organisations de gestion des « terres de clans » et les autres institutions impliquées dans la régulation foncière que sont les services municipaux, les bureaux d'arrondissement, les chefs de village, les services des impôts et des domaines et les professionnels fonciers. A partir de ces complicités, les comités de gestion parviennent à contourner très facilement les mesures étatiques de restriction des investissements fonciers à grande échelle pour formaliser les accords de cession au profit des investisseurs. Les comités fondent leur légitimité d'une part sur les investissements sociocommunautaires qu'ils font dans les villages à partir des financements issus des ventes foncières et d'autre part sur les emplois que génèrent certains investissements fonciers. Ainsi, les comités de gestion des terres lignagères constituent de nouvelles interfaces économique et politique entre les investisseurs et les villageois. En tant qu'espace de pouvoir et de contrôle foncier, les comités de gestion des « terres de clans » jouent un rôle important dans l'aménagement des territoires ruraux à travers l'expropriation foncière au profit des investissements fonciers (Boamah, 2014).
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[3] Colin(2004)
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