Tant la République Démocratique Allemande que la République Fédérale d'Allemagne envoyaient des coopérants en Afrique avec la tâche de faciliter la "voie du développement socialiste", ou simplement celle du "développement". Ces professionnels itinérants ont été décrits, dans le cas des "experts du développement" occidentaux, comme un groupe transnational poursuivant ses propres intérêts et menant ses propres modes de vie (Hans-Dieter Evers). Ce mouvement prenait, dans les années 1970, la dimension d'une migration professionnelle vers l'Afrique, les coopérants constituant des sociabilités à part vivant en enclaves dans les métropoles africaines.
Bien qu'au cœur de cette migration temporaire prévalait l'idée d'un transfert de savoirs et de comportements, les contacts entre coopérants et personnel local étaient très limités. C'est un thème délicat et abordé en des termes prudents dans les matériaux des archives. Imposé par une réglementation stricte pour les Allemands de l'Est, l'isolement n'était probablement pas moindre chez les professionnels venant de RFA, malgré l'absence de prescription officielle. Ceux-ci restaient donc souvent cantonnés dans leurs micro-sociétés d'« expatriés ».
Dans les deux cas, l'abstinence politique était une règle générale pour les coopérants. Elle émanait de la supposition selon laquelle "l'aide au développement" était une affaire technique et politiquement neutre. Du côté de la RDA, les conflits avec les partenaires africains étaient tabous. En cas de conflit ouvert, les autorités est-allemandes sur place sanctionnaient leurs compatriotes plutôt que de risquer un conflit avec les autorités du pays de mission. Du côté de la RFA, il était clair que l'intervention venant de l'extérieur, personnalisée par ces coopérants, devait entre autres avoir comme conséquence un changement social permettant un "développement" envisagé et programmé. La contribution proposée essaiera d'esquisser des éléments permettant de caractériser les relations entre ces coopérants, vecteurs de transmission d'une certaine expertise ainsi que de manières de vivre, de penser et de comportement, et les élites locales qu'ils rencontraient. Quels étaient les cadres de prescriptions pour ces contacts? Comment saisir ces relations et les interactions qui avaient lieu? Quelles étaient les influences mutuelles? Les professionnels internationaux envoyés en mission, renforçaient-ils le pouvoir de ces élites locales ou minaient-ils leur position?
Ces questions seront illustrées par deux études de cas en Ethiopie et en Tanzanie, pays qui expérimentaient leurs propres versions d'une "voie socialiste", militaire d'un côté, "autonome" (self-reliant) de l'autre, l'Ethiopie dans sa phase d'élan révolutionnaire étant un pays clé de coopération pour la RDA, et la Tanzanie un partenaire privilégié (parmi beaucoup d'autres) d'une coopération de tendance social-démocrate.
La contribution sera basée sur des matériaux d'archives allemandes, et (beaucoup moins prolifiques) éthiopiennes et tanzaniennes, ainsi que sur des entretiens avec des acteurs professionnels. Le cadre temporel concernera la duo-décennie des années 1970 et 1980, période de bouleversements et de changement accélérés dans ces deux pays africains.