En raison de la place prépondérante occupée par la région sénégambienne dans la colonisation européenne en Afrique de l'Ouest, les relations intimes et le mariage entre Sénégalais et Européens font partie du répertoire familial de la région. Toutefois, ces relations ont pris des formes très différentes selon les époques. De même, la reconnaissance sociale de ces couples a varié suivant le contexte historique, le genre du conjoint sénégalais, les origines sociales, ou encore le lieu de résidence. Depuis les années 80, les opportunités de nouer des relations intimes entre Sénégalais et Européens se sont multipliées avec la migration accrue du Sénégal vers l'Europe bien sûr, mais aussi avec la présence croissante au Sénégal d'Européens disposés à établir des relations sur des bases égalitaires. Côté sénégalais, les relations intimes et le mariage avec les Européens sont perçus avec ambiguïté. En effet, si les motivations individuelles sont très diverses, ces relations semblent renvoyer à l'histoire coloniale, tout en représentant une voie privilégiée vers la mobilité sociale et géographique. Dans ce contexte social ambigu, les familles concernées sont souvent soucieuses de s'assurer le contrôle du processus de mariage, notamment afin d'éviter que les enfants nés de ces unions ne soient « perdus ».
Cette communication s'inspire de travaux sur le mariage dans la société Wolof et de travaux anthropologiques montrant l'importance du rituel dans la construction sociale de la parenté pour examiner ce qui est en jeu dans le mariage ‘mixte' au Sénégal. Les échanges matériels liés au mariage, par exemple, permettent d'établir ou de contester les droits sur la descendance. Les enquêtes généalogiques permettent de maintenir l'endogamie de 'caste', ou au contraire de négocier les moyens de la contourner. Mais que se passe-t-il lorsque le mariage se fait avec des Européens dont on ignore l'histoire familiale, et qui eux-mêmes ignorent tout des échanges matériels pratiqués dans la région ? On tentera de démontrer que le jeu entre présence et absence, et entre savoir et ignorance, permet aux individus et aux familles concernées d'incorporer des personnes d'autres origines culturelles, linguistiques et religieuses sans remettre fondamentalement en question les pratiques familiales régionales.