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Rareté et variation des prix de cession des Produits Sanguins Labiles (P.S.L.) au Gabon. Socio-histoire d'un dysfonctionnement
Tonda Maheba  1@  
1 : Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux  (IRIS)  -  Site web
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS)

Les Produits Sanguins Labiles (P.S.L.) sont au cœur des dispositifs de transfusion. Médicaments d'origine humaine, ils sont concernés au Gabon par la notion de rareté selon deux perspectives qui s'entretiennent : les pénuries constantes et objectivement observables de produits sanguins, et l'idée socialement entretenue de la difficulté à s'en procurer. Les manques récurrents de produits sanguins obligent le Centre National de Transfusion Sanguine (C.N.T.S.) à imposer au patient deux dons compensatoires fournis par des proches pour chaque poche de sang délivrée. Cette pratique nourrit les réticences des individus à donner bénévolement leur sang, les conditions de leur délivrance étant jugées difficiles et injustes. Ainsi, le prix de cession d'une poche de sang qui comprend la somme d'argent à payer (qui a évolué dans le temps, et varie d'une banque de sang à l'autre, de 10.000 francs CFA au triple, voire plus) et l'imposition de donneurs obligatoires, au lieu de rendre pérenne l'approvisionnement en sang, créent des refus de don qui prolongent sa rareté.

Un certain nombre de questions peuvent donc être posées autour de la « production » et de la « distribution » de ce médicament : pourquoi le sang est-il délivré contre paiement alors qu'il est collecté gratuitement ? Comment est perçue la vente d'un produit dont les discours et représentations les plus courantes le caractérisent comme « sacré » parce qu'« essentiel à la vie » ? Autrement dit, quels types de rapports sociaux se nouent autour de la gestion de la transfusion sanguine au Gabon, du don de sang à la cession de ce dernier à des patients ? Quel rôle joue l'État dans la (dé)régulation de ce marché, sachant que bien que subventionnant la transfusion sanguine, le C.N.T.S., les banques de sang et les cliniques privées jouissent d'une autonomie dans la fixation des prix et des règles de prélèvements sanguins ? Comment interpréter cette absence de coordination entre les institutions ?

Toutes ces questions orienteront la perspective analytique adoptée dans cette communication. On proposera une socio-histoire de la valeur des P.S.L. et des stratégies institutionnelles pour palier la rareté des donneurs de sang (et donc des P.S.L.), pour rendre compte du rôle historique de l'État gabonais, « dominé actif » (Eboko, 2015, p.73) des politiques initiées par l'O.M.S. par exemple, dans la mise en place de ce que l'on pourrait qualifier ici de système dysfonctionnel. De l'État colonial qui rémunérait les donneurs de sang (Schneider, 2013) à l'État postcolonial, où les donneurs ne sont pas rémunérés mais les poches de sang payantes, il s'agira de mettre en exergue la construction diachronique et synchronique de leur rareté et de la transfusion sanguine au Gabon, en tenant compte simultanément de dynamiques locales et globales. On analysera également, dans une perspective prolongeant les recherches marxistes et polanyiennes sur la marchandise (Marx, 1969 ; Polanyi, 2012 ; Steiner, 2001), les relations sociales qui se nouent autour de la valeur d'une partie du corps transformée en marchandise (Brown, 2013 ; Helmreich, 2012 ; Scheper-Hugues, 2002). L'hypothèse défendue est qu'un ensemble d'imaginaires et de représentations du sang qui le construisent le plus souvent comme un objet qu'on ne vend pas justifie paradoxalement le fait qu'il soit produit comme médicament. Nous l'étayerons à partir d'enquêtes de terrain réalisées à Libreville, entre 2009 et 2015 auprès de patients, de donneurs de sang potentiels et de différents acteurs de la transfusion sanguine (responsables de banques de sang, médecins, techniciens médicaux, etc.).



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