Justice traditionnelle africaine et établissement des responsabilités en périodes transitionnelles
Face aux violations massives et graves des droits humains d'après guerres, conflits et sortie de régimes autoritaires pour des régimes démocratiques, les Etats ont la lourde responsabilité d'apaiser les souffrances vécus par l'ensemble de la société pour lui permettre de se reconstruire dans un climat de confiance générale.
La communauté internationale s'active, dans cette perspective, depuis quelques années sur la construction d'un mécanisme satisfaisante et équilibrée postulant la compatibilité entre la justice et la démocratisation d'une part, et entre la résolution politique et la résolution juridique des conflits ayant conduit à des violations massives des droits de l'homme d'autre part , car comme il convient de le souligner, en accord avec le professeur Maurice Kamto , si la justice et la paix sont une dualité conceptuelle, cette opposition devrait se concrétiser dans une dialectique de temporalité, la justice pouvant être un obstacle à la paix si mal négociée.
La justice transitionnelle qui émerge, dans le contexte sus évoqué, a connu sa première mise en pratique avec la chute des dictatures militaires d'Amérique latine notamment en Argentine dès 1983et au Chili dans les années 1990.
Ainsi, au cours des dernières décennies, des mécanismes judiciaires et non judiciaires ont été mis en place par les Etats sortant de conflits ou de régime autoritaire afin de traiter des violations graves et massives des droits de l'homme. Cet essor a été reconnu par l'Organisation des Nations Unies (ONU) dans un Rapport du Secrétaire Général du 23 aout 2004 qui s'inspirant largement des principes Joinet contre l'impunité qui posent les droits des victimes et devoirs de l'Etat dans la lutte contre l'impunité suite aux violations massives des droits de l'Homme et du droit international humanitaire, définit le concept de Justice Transitionnelle ou justice de transition. Une décision du Secrétaire Général de l'ONU en date du 7 novembre 2006 a confié au Haut-Commissariat aux Droits de l'Homme (HCDH) le leadership thématique –primus inter pares- en matière de justice transitionnelle au sein du système des Nations Unies. Le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies dans sa résolution 18/7 du 29 septembre 2011 a adopté le mandat du Rapporteur Spécialsur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition qui a pris ses fonctions la 1er mai 2012. Selon le premier Rapport annuel du Rapporteur Spécial pour la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non répétition Monsieur Pablo de Greiff, une combinaison adéquate des efforts contre l'impunité peut contribuer à long terme à l'instauration d'un Etat de droit. Après des périodes de violations importantes, il s'agit ainsi d'établir les faits, de reconnaitre le statut de victimes, de procéder aux procès pertinents, afin de pouvoir recréer le lien de confiance entre les citoyens et les institutions publiques, renforcer l'Etat de droit voire de promouvoir la réconciliation sociétale.
Le continent africain est le théâtre des crises politiques qui ouvrent des dynamiques de déstructuration sociale et de déstabilisation politique entravant ainsi les perspectives de développement. En effet, ces crises politiques exposent les pays africains à la faiblesse ou à l'inexistence de l'État de droit, à l'insuffisance des moyens en matière d'application des lois et d'administration de la justice et la multiplication des violations des droits de l'homme.
Depuis les années 1990, plusieurs processus de justice transitionnelle ont été expérimentés en Afrique, notamment l'expérience sud-africaine de 1994 qui passe pour être la toute première sur le continent. Dans ce cadre, les mécanismes sociaux traditionnels ont offert à nombre d'expériences des ressources autochtones de gestion des conflits désignés sous le vocable de justice traditionnelle ou justice coutumière africaine. Cette dernière, est considérée comme un système de justice informel et non codifié qui s'appuie sur les traditions (usages et coutumes) des communautés précoloniales d'Afrique noire et qui permettait à celles-ci de prendre en charge les différents conflits qui survenaient entre les membres.
À la suite de l'expérience rwandaise des gacaca, version « modernisée » d'une forme autochtone de règlement des litiges qui a été développée et appliquée au lendemain du génocide de 1994, la communauté internationale s'intéresse de plus en plus au rôle potentiel des mécanismes traditionnels dans les stratégies de réconciliation et de justice transitionnelle. Plus récemment, en Ouganda, pays déchiré par la violence depuis vingt ans, le débat sur les rôles respectifs de la Cour pénale internationale (CPI) et des pratiques de réconciliation traditionnelles des Acholi montre que les mécanismes traditionnels prennent de l'importance parmi les outils envisagés afin de parvenir à un règlement pacifique des conflits.
Les tentatives d'analyser et d'évaluer de façon systématique le rôle et l'impact des mécanismes traditionnels africains dans les contextes post-conflit sont trop rares, et l'on est amené se poser la question de savoir si la justice traditionnelle africaine constitue un outil efficace du régime de responsabilité en période post conflits. D'où la présente communication qui s'essaie à évaluer la contribution de la justice traditionnelle africaine au processus d'établissement des responsabilités post conflits en Afrique.
I- La justice traditionnelle africaine comme outil efficace du régime de responsabilité en période post conflit
A- A travers les mécanismes endogènes générés
B- A travers la légitimation des processus de Justice transitionnelle (justice proche des populations)
II- Malgré les limites qui entravent son développement au niveau régional africain
A- L'absence de codification des règles coutumières et de systématisation des principes de justice traditionnelle
B- La faible formation des juges et l'absence de procédures uniformisées