Lors du soulèvement populaire d'octobre 2014 qui a chassé du pouvoir le président Compaoré, l'image de Sankara était omniprésente. Posters, tee-shirts, autocollants à son effigie étaient fièrement exhibés par des jeunes qui n'avaient, le plus souvent, jamais connu la Révolution. La puissance de cet imaginaire sankariste interroge. La Révolution ne passe-t-elle pas pour le moment fondateur de la communauté nationale, une vingtaine d'années après l'accession du pays à l'indépendance « formelle » en 1960 ? Cette idée de seconde indépendance, censée tirer radicalement un trait sur le passé colonial et tous ses prolongements supposés, était omniprésente dans la communication officielle. Elle visait à l'édification d'un homme nouveau : le « Burkinabè » ou « Homme intègre ».
L'accomplissement de ce projet supposait de s'attaquer, au nom de l'anti-impérialisme, à tous ceux suspectés de faire peser sur le pays, mais aussi sur le continent africain, une influence ou une domination de type « néo-coloniale ». Les relations avec la France se sont tendues, les « chefs traditionnels » sur lesquels les autorités coloniales s'étaient appuyées ont été combattus, l'apartheid était dénoncé à l'école, etc. Pour tous ces « néo-impérialistes », la Révolution devait être la « chose la plus autoritaire qui soit » prédisait le Discours d'Orientation politique, sorte de Livre rouge burkinabè.
Quelles traces ont laissé ces discours et pratiques « anti-impérialistes » au sein de la société burkinabè ? Dans quelle mesure cette mémoire de l'anti-impérialisme révolutionnaire a-t-elle nourri le discours des opposants au régime de Compaoré ? Quelle a été sa capacité de mobilisation ? Enfin, cette mémoire n'étant en réalité pas univoque, on peut se demander si elle sera partie intégrante du roman national « officiel » après avoir été contrainte de cheminer de façon sous-terraine pendant de nombreuses années.
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