La Tanzanie est souvent considérée comme un exemple typique de régime hybride : pour comprendre la longévité de l'ancien parti unique au pouvoir, et en dehors des discussions sur le niveau de compétitivité réel ou l'appartenance à telle catégorie « d'hégémonie compétitive » (Morse, 2014), « d'autoritarisme électoral » (Schedler, 2006) ou de « régime à parti dominant » (Friedman & Wong, 2008 ; Doorenspleet, & Nijzink, 2013), il convient de s'interroger sur la manière dont les élections, au delà de leurs aspects formels, révèlent et mettent en forme les rapports entre gouvernants et gouvernés.
Cette communication cherchera à comparer le processus électoral contemporain à la politique d'ujamaa du tournant des années 1970 afin d'en étudier les aspects mobilisateurs : la mobilisation se situe en effet au cœur du rapport entre gouvernants et gouvernés, caractérisé par une dialectique entre contrôle et participation (Martin, 1988). Tout comme la politique d'ujamaa, l'architecture du processus électoral permet aujourd'hui une participation des gouvernés, différemment contrôlée à plusieurs échelles (du village, de la circonscription, au niveau national) et, surtout, dirigée et canalisée afin de renforcer une certaine configuration du pouvoir favorable au parti dominant. Si le projet de l'ujamaa – à la fois idéologique, économique, social et politique – ne peut être comparé dans ses intentions totalisantes avec le processus électoral, ce dernier n'en est pas moins devenu le récipient principal de la citoyenneté tanzanienne et fait l'objet d'un investissement important et ritualisé, de la part de l'appareil politico-administratif mais aussi du côté de la population et de la société civile.
A partir d'une analyse de la littérature sur la période d'ujamaa et des conclusions tirées d'une étude de terrain conduite pendant la récente campagne électorale, cette communication cherchera à mettre en lumière les continuités entre ces espaces de mobilisation dans deux de leurs aspects : d'un côté le recours à une rhétorique paternaliste et moralisante inscrivant le rapport entre gouvernés et gouvernants dans une relation à la fois familiale et de subordination (Schneider, 2006) ; et, dans un second temps, un rapport paradoxal à la société civile, à travers l'exemple des organisations religieuses, carctérisé par la menace du contrôle et la volonté d'utilisation des ressources (Westerlund, 1980).
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