L'Afrique est aujourd'hui un terrain peu investigué par la sociologie économique – et pourtant passionnant pour éclairer les dimensions socio-politiques des flux monétaires. Pour le montrer, cette communication s'appuie sur un travail doctoral explorant les conséquences politiques des transferts économiques circulant entre le Sénégal et la France.
La collecte et l'analyse de données empiriques originales a permis de mettre en évidence une relation peu étudiée : l'impact des migrations internationales sur les pratiques de corruption. Les usages légitimes de l'argent dans la sphère publique sont en effet un enjeu central de la vie politique sénégalaise. La façon dont la corruption sert notamment à capter des ressources étatiques pour les redistribuer au sein de réseaux locaux confère aux arrangements avec les règlements une forme de légitimité. Ce qui éclaire les obstacles rencontrés par les initiatives visant à « lutter contre la corruption » qui tentent de modifier de l'extérieur les normes pratiques de gestion des ressources économiques. Si le terrain a confirmé le caractère endémique des détournements d'argent et autres arrangements avec les règlements, y compris au sein du secteur associatif, nos études de cas ont aussi révélé à quel point les migrants (actuels) se trouvent à l'intersection d'univers de sens qui leur permettent de penser différemment les pratiques de corruption – tout en disposant des ressources nécessaires à leur remise en cause.
La mobilisation d'une enquête qualitative multi-site et d'une enquête quantitative transnationale menées durant les élections présidentielles sénégalaises de 2012 permet d'analyser la position particulière de certains migrants dans le paysage politique et d'analyser le profil singulier de ceux qui s'attachent à faire changer les comportements de leurs pairs en matière de corruption. Au-delà de la stabilité de leur vie socio-professionnelle à destination, ils se distinguent aussi par leurs engagements militants en France. Il ne suffit pas bien sûr de vivre à l'etranger pour « transférer des normes » vers son pays d'origine et l'accumulation de capitaux culturels en France est décisive pour permettre à ces militants de participer à la redéfinition des règles du jeu, au Sénégal.
Ces conclusions rappellent ainsi la nécessité de surmonter les oppositions théoriques entre dynamiques économiques et sociales pour rendre compte des conséquences multidimensionnelles de la mobilité humaine.