Depuis la colonisation, l'étatisation de la gestion des ressources naturelles s'est imposée comme le principal mode de gouvernance dans les pays africains. Ce processus a été renforcé avec l'accession des jeunes Etats à l'indépendance, qui voyaient dans ce mode de gestion, la meilleure manière d'éviter leur exploitation abusive et « tragique » (Hardin, 1968). Ainsi, plusieurs ressources naturelles, qui étaient gérées par les communautés locales grâces à des règles et arrangements institutionnels d'une originalité certaine, vont passer sous la coupole des Etats modernes caractérisés par une extraversion tant au niveau des institutions que des normes et règles à appliquer à ces ressources. En conséquence, ces ressources communes ont fait l'objet de régulation de la part de plusieurs acteurs (chefferie traditionnelle, administration coloniale, pouvoir public, mouvements messianiques) successivement ou simultanément. Cette régulation s'est traduite par une multiplicité des instances de gestion, une superposition des normes et une récurrence des conflits dans l'exploitation de cette ressource commune (Tossou, 2014).
L'objectif de cette communication est d'analyser les mutations survenues dans la gouvernance d'une ressource naturelle stratégique au triple plan social, économique et écologique : le lac Ahémé. En effet, les mutations qui sont observées dans la gouvernance du Lac Ahémé sont inextricablement liées à l'affaiblissement des institutions traditionnelles par l'Etat, à l'incapacité de l'Etat à faire respecter les normes qu'il a lui-même produites – au regard de l'insuffisance de ses moyens et du faible ancrage de ses normes avec les réalités locales – et à l'introduction des religions révélées. Aujourd'hui, au nom des normes étatiques, la pêche peut être pratiquée tous les jours, ce qui n'était pas possible avec les normes endogènes. De la même façon, de nombreux acteurs d'obédience évangélique contestent et violent allègrement les normes endogènes qu'ils considèrent comme diaboliques. Pour ces acteurs, tout ce qui n'est pas interdit dans la bible relève du normal.
Cette situation de double extraversion – extraversion politique au niveau de l'Etat et extraversion religieuse au niveau des individus – qui constitue une nouvelle caractéristique des sociétés africaines, n'a pas été sans conséquence sur la durabilité du lac Ahémé, qui se retrouve aujourd'hui dans une situation critique à cause de la surexploitation et de l'appauvrissement en ressources halieutiques. Mieux, en affaiblissant les institutions endogènes, elle affaiblit le contrôle social et favorise ainsi toutes sortes de déviance dans l'exploitation du lac Ahémé. S'intéresser à l'action publique de gestion du lac Ahémé est une piste intéressante qui permet d'interroger empiriquement les rapports concrets entre l'Etat, la chefferie traditionnelle, les mouvements messianiques, les ONG, et d'analyser la manière dont les politiques publiques sont produites, imposées, négociées, contestées et détournées.
Mots clés : Ressource naturelle, action publique, lac Ahémé, Bénin, gouvernance.
- Poster