La gravité de la pandémie du sida conduit beaucoup d'acteurs impliqués dans la lutte contre les nouvelles infections par le VIH à avoir des méthodes parfois mal adaptées au contexte africain. L'objectif de notre travail consiste à dégager les différentes failles liées à la construction du sens et à l'élaboration des visées argumentatives et sociosémiotiques des messages sur la prévention du VIH que diffusent les médias de masse (tels que les affiches, les spots télévisés et le film radiophonique) et la poésie camerounaise (nous avons étudié le cas du recueil de poèmes de Tikum Mbah Azonga Say No to AIDS (Non au Sida), la peinture du séropositif et ses états d'âme, laquelle est faite avec des procédés rhétoriques qui reposent sur une exagération qui présente le réalisme face au sida sous des traits grossissants. L'œuvre est publiée aux Éditions Sopecam ou Société de Presse et d'Éditions du Cameroun en 2010, date à laquelle elle est inscrite sur la liste officielle des manuels scolaires autorisés par le Ministère des Enseignements Secondaires du Cameroun).
Ces failles sont liées, d'une part, au contenu linguistique et sémiotique de ces médias et de cette littérature, et d'autre part, elles sont relatives aux différentes stratégies argumentatives qui causent parfois des effets de contresens, des heurts et des polémiques dans le contexte socioculturel de réception et auprès de leur public cible, notamment les femmes et les jeunes.
En guise d'objet de recherche, nous avons formulé le postulat selon lequel il y a des distorsions entre la construction des messages de prévention contre le VIH diffusés par les affiches, les spots télévisés, un film radiophonique et la poésie sur le VIH et leur réception réelle par les publics cibles en contexte. Cette problématique a pour but de mettre en lumière le mode d'appréhension et d'évaluation du contenu argumentatif des supports en étudiant leur expression linguistique et sémiotique, pour faire ressortir : la cohérence entre les enjeux de la communication et le choix des procédés de persuasion, ainsi que celle qu'on peut observer entre les procédés utilisés et leur impact sur le processus de réception.
Autrement dit, il s'agit de relever le problème de l'interprétation idoine des messages diffusés par les diverses organisations auprès d'un public hétérogène constitué de jeunes et de femmes (et dont la socioculture est un élément déterminant.) Notre préoccupation s'étend à l'ancrage de ces supports de communication dans le contexte de réception du Nord-Cameroun (nous privilégions la ville de Ngaoundéré).
Notre travail vise les objectifs suivants :
– l'évaluation de l'impact de la prévention du VIH en faveur des groupes cibles prioritaires (ou groupes à risque) ;
– une contribution aux Stratégies du programme multisectoriel du plan national de lutte contre le Sida par l'évaluation des actions des affiches, des spots et de la radio grâce aux entretiens auprès des acteurs et des médias, et à des enregistrements de quelques émissions ;
– une contribution à la réduction du nombre de nouvelles infections au Cameroun en général et de la ville de Ngaoundéré en particulier en étudiant les réalités de terrain grâce au questionnaire auprès de la population cible.
Cet intérêt de ce travail est perceptible également sur plusieurs plans. Sur le plan socioculturel, cette étude permet de relever les failles liées à l'interprétation des messages de prévention du VIH diffusé par les médias de masse (affiches, spots télévisés, film radiophonique) et la poésie auprès d'une cible prioritairement féminine et à l'ancrage de ces supports de communication dans le contexte de réception socioculturel de Ngaoundéré.
Sur le plan de la communication sociale, la principale préoccupation de notre étude est de relever et d'expliquer les problèmes de décodage des messages de prévention du VIH véhiculés par les affiches et les spots télévisés auprès de la population de Ngaoundéré.
Sur le plan économique, notre principale préoccupation vise à améliorer l'adéquation d'une campagne de prévention à sa cible en évaluant si la lecture de ces messages est valide et généralisable pour les régions du Nord-Cameroun. Par ailleurs, elle touche les facteurs internes (linguistiques et sémiotiques) et externes (contexte de production et de distribution) de ces supports choisis, parce qu'ils constituent une communication de proximité, une économie articulatoire et mémorielle à cause de leur breveté et leur concision, et sont riches en stimuli visuel, auditif et linguistique. L'efficacité des messages permet de réduire la multiplication onéreuse et parfois perverse des campagnes de communication contre le VIH.
Sur le plan social, notre étude porte sur le discours de la prévention du VIH, tant en termes de contenu que de procédés linguistiques et sémiotiques pour parvenir à certaines fins. Ces messages visent l'encrage d'un comportement responsable et incitent à un type d'attitude prudente et à l'établissement d'un conditionnement : la prévention du VIH. Cette étude contribue en général à l'amélioration de la santé publique au Cameroun et en Afrique.
Pour atteindre nos objectifs de recherche, nous avons voulu nous inscrire dans le courant de l'analyse du discours et plus spécifiquement des théories de l'argumentation et de la sociosémiotique.
Tout d'abord, les théories de l'argumentation issues de la rhétorique aristotélicienne et leur prolongement dans les travaux de C. Perelman et L. Obrechts-Tyteca, puis de J.J. Robrieux ont permis d'affiner la visée persuasive des messages de prévention. Ce qui nous a poussé en grande partie à l'argumentation publicitaire en raison des aspects liés au marketing de notre corpus. Ensuite, la particularité du regard sociosémiotique repose sur l'intérêt qu'il porte à la dimension culturelle et symbolique des pratiques communicationnelles, dans la perspective proche de celle des « Cultural Studies » ou de l'anthropologie symbolique. Elle a eu l'avantage d'étudier les discours sociaux dans leur complexité plurisémiotique, ainsi que leur ancrage socioculturel dans leur contexte de réception. Les analyses qui en découlent se sont appuyées sur trois faits particuliers : le primat de la production du message, l'impact du média qui le véhicule et la prise en compte du contexte socioculturel de réception du message.
Notre étude nous a permet d'aboutir à des résultats sur bien de plans. Plusieurs discours parfois divergents portent sur les conseils prodigués au public face au VIH. Leur mode d'argumentation est parfois partisan et contradictoire.
Dans un contexte socioculturel où le statut socio-économique de la femme est peu amélioré, la question de l'utilisation du préservatif par exemple se pose à plusieurs niveaux : la négociation de son utilisation avec l'homme, son achat et sa bonne utilisation par la femme. Nous nous sommes intéressé ici à la capacité et à la volonté de la femme à acheter le préservatif masculin et à imposer son utilisation à son partenaire sexuel masculin.
Nous avons relevé que les messages de prévention contre le VIH qui sont véhiculés par notre corpus s'inscrivent dans un contexte socioculturel qui n'est pas toujours pris en considération. Dans cette partie de notre travail, nous avons soumis les affiches à quelques personnes (soit 25 personnes par affiche) de la ville de Ngaoundéré au moyen d'un questionnaire de six questions. D'après les réponses obtenues, nous avons constaté des failles communicationnelles liées à la conception des affiches. Nous avons, à cet effet, recommandé d'améliorer notre corpus sur le double plan iconique et verbal, et de supprimer certains supports médiatiques, ou tout au moins les améliorer profondément en vue de les rendre plus efficaces.
En ce qui concerne les arguments déployés par le poète Tikum Mbah Azonga pour souligner la dangerosité de la pandémie du sida, nous avons pu dégager le constat selon lequel l'hypersensibilité du poète renforce une image erronée dans la sensibilisation contre le VIH présenté comme une fatalité. Cela est manifeste par le recours à la licence et à la cacophémie qui participent de procédés de sensibilisation contre le VIH renforçant la panique sur la pandémie du sida.
En synthèse, il se pourrait qu'il y ait un problème d'efficience du choix des procédés de persuasion des messages émis, et sans tenir compte de l'environnement socioculturel et culturel de la ville, les campagnes des comportements de prévention du VIH risquent de ne pas avoir d'impact sur leur cible et n'atteignent pas efficacement les résultats escomptés. Par ailleurs, le décodage et la réception socioculturelle des messages de prévention du VIH émis par les affiches, les spots télévisés, le film radiophonique Sandra ou les pièges du sponsoring, et l'œuvre poétique de Tikum Mbah Azonga Say No to AIDS (Non au Sida) pourraient induire des effets pervers sur le public cible.
Le contexte de réception est mal défini et une forte proportion de la population cible active (la femme) est difficilement atteinte par les stratégies de communication audiovisuelles des pouvoirs publics et privés impliqués dans la lutte contre le VIH, car le contenu des messages des affiches par exemple s'inscrit dans un contexte socioculturel qui n'est pas bien pris en considération, car il s'y adapte mal et crée des conséquences aussi déroutantes que néfastes.
=> atelier "communication et santé publique"