La bourian se donne à voir comme un petit groupe de carnaval masqué, où chaque masque sort tour à tour. Les éléments concernés lors d'une prestation d'un groupe de bourian sont très codifiés. Le chef de la bourian est le dépositaire des masques et de la samba brésilienne au Bénin. Cette manifestation est l'emblème public de l'identité Agudà, dans un contexte où chaque population locale possède ses masques spécifiques.
Les Agudàs, connus comme les « Brésiliens du Bénin », présentent une notion d'identité et d'appartenance assez particulière. Ils se revendiquent comme les héritiers d'une culture et d'un « sang brésilien » et sont, pour la plupart, des descendants d'esclaves s'ayant affranchis au Brésil puis retournés sur l'ancienne Côte des Esclaves, au XIXe siècle. Ils se sont par la suite mélangés aux Portugais et aux Brésiliens commerçants d'esclaves déjà établis – ainsi qu'avec leurs serviteurs africains – et ont formé une communauté « créole » qui présente aujourd'hui une forte cohésion identitaire tout en étant une référence « supra-ethnique » et « supra-religieuse ».
La bourian est l'expression culturelle la plus marquante des Agudàs du Bénin de nos jours. Elle est considérée comme un divertissement sérieux, qui se clôture par la présentation de poupées géantes renvoyant aux aïeux venus du Brésil. On fait appel aux services d'un chef bourian et de son groupe pour, le plus souvent, animer les funérailles chez une famille Agudà ou alliée.
Le chef est le chanteur du groupe et celui qui contrôle le timing de l'animation des événements. Il doit connaître les rythmes et les danses ramenées du Brésil par les aïeux ainsi que le répertoire de chansons brésiliennes, même si ni lui, ni aucun Agudà n'arrive à comprendre la langue portugaise. Il doit maîtriser le fonctionnement du « couvent » – le local où l'on se déguise. L'identité des masqués doit, surtout, demeurer sécrète.
Un chef de bourian a un statut assez particulier. Il peut être perçu en même temps comme un chanteur de prestige, un représentant-gardien des traditions, mais aussi comme un patron de société ou un rigide sergent de troupe. Il est à la fois respecté, cible de jalousie et de critiques. Une bourian constitue un capital social important; on y gagne beaucoup à y participer, à en organiser, et aussi, pour quelques Agudàs plus prospères, à les sponsoriser. Quelles sont donc les frictions qui peuvent surgir au sein des enjeux de tradition, de pouvoir et de prestige dans l'organisation d'une bourian ?
L'appel d'une bourian se fait à travers un réseau de connaissances. Certaines familles Agudàs sont des « clients héréditaires » d'un groupe et le chef peut être traité avec déférence. Mais dans ces dernières années, des non-Agudàs commandent chaque fois plus d'animations de bourian, justifiées par le fait que le genre musical plaisait au défunt. Est-ce que, désormais hors d'un cadre d'« ancestralité », le chef d'une bourian peut-il être traité juste comme un prestataire de service subalterne ? Je propose une étude de cas, celui du chef de la bourian de Porto-Novo.
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