Le début des années 2000 marque résolument un tournant dans l'évolution de Dakar dû, pour une part, à l'impact des importants investissements du gouvernement sénégalais dans la construction de nouvelles infrastructures urbaines, et d'autre part à la mise en œuvre, par la Ville, d'un plan d'urbanisme résolument moderne. Le rôle direct de la Chine au niveau de ces transformations a fait l'objet d'études nombreuses. En revanche, les analyses négligent trop souvent l'influence indirecte que ce grand pays asiatique exerce sur l'Afrique au travers de l'engouement que des commerçants africains ont développé pour Guangzhou et Yiwu, engouement qui se traduit en particulier par une augmentation notable, persistante et diversifiée des importations en provenance de Chine.
Après les migrants et leurs investissements pour le développement de l'immobilier à Dakar (Tall 1994 ; 2001 ; 2009), ces entrepreneurs africains actifs en Chine , « traduisent » aussi à leur retour de Chine ou d'ailleurs leurs expériences du monde dans leur quotidien, leur mode de vie et dans le choix de leurs importations. Ils ouvrent ainsi les voies pour des transformations sociales et influencent aussi leur ville, Dakar, ses métamorphoses et ses habitants.
C'est cette influence de la Chine, dans un contexte où le « Chine-Afrique » envahit les media et la recherche, qui est au centre de notre propos et à cet endroit, le rôle des entrepreneurs africains qui travaillent en Chine et des importations en provenance de Chine .
Dans le cadre de travaux menés au GIGA de Hambourg sur ces entrepreneurs[1], nos recherches nous permettent, à partir de la perception que les entrepreneurs sénégalais ont de leur expérience de Chine, de mettre en lumière leur rôle comme traducteurs et vecteurs de celle-ci, que nous comptons illustrer dans des domaines spécifiques du quotidien que sont la conception de l'habitat, des lieux privés de représentation et de réception ou de l'ameublement.
Cette traduction de Chine peut être considérée comme une opportunité de réappropriation des lieux, des objets et des rêves de la globalisation par les habitants et leurs manières de vivre, facilitée dans une certaine mesure par les entrepreneurs et commerçants africains et elle permet de se demander si elle n'est pas l'expression d'une traduction locale de la modernité et, par là, l'illustration d'une alter modernité (Chenal, Petrazzini & Kaufmann 2009).
[1] Cf. les recherches menées par avec Alena Thiel, Karsten Giese, Kelly Liang, Jessica Wildzac : “Entrepreneurial Chinese Migrants and Petty African Entrepreneurs: Local Impacts of Interaction in Urban West Africa (Ghana and Senegal)” et “West African Traders as Translators Between Chinese and African Urban Modernities”.