Cette communication présentera les premiers résultats d'une analyse comparative de deux enquêtes qualitatives portant sur les commerçants de la province de la Gnagna au Burkina Faso (Courade et Janin, 2002 ; Pinaud 2016). En portant une attention à l'inscription sociale des pratiques commerciales ainsi qu'aux raisonnements économiques de ces acteurs (Sciardet, 2003 ; Zalio, 2009), il s'agira de questionner à nouveau frais la figure du commerçant africain dont l'analyse est largement délaissées depuis les années 2000.
Les travaux africanistes ont bien accordé une attention précise au rôle des commerçants dans le fonctionnement des marchés (Bohannan et Dalton, 1962 ; Meillassoux, 1971 ; Le Bris, 1984), en mettant l'accent sur leur importance dans les réseaux commerciaux dans l'intégration économique de la sous-région (Grégoire et Labazée, 1993) et leur influence politique est aujourd'hui encore bien documentée (Amin, 1969; Roy, 2010 ; Poussart-Vanier, 2006). En revanche, la description de l'activité économique de ce groupe professionnel ne fait plus l'objet de l'attention d'antan alors même que la commercialisation croissante de la production agricole laisse présager d'un poids croissant de ces professionnels au centre des processus de marchandisation de l'économie de la région.
Nous souhaitons proposer d'étudier deux dimensions de l'activité commerciale bien documentée dans la littérature pour les périodes antérieures :
- Les supports sociaux (famille, ethnie...) qui tissent les relations commerciales et construisent la confiance indispensable à la bonne réalisation des échanges. Il s'agira ainsi de documenter la plasticité de ces réseaux commerciaux dans un contexte socioéconomique mouvant [évolution des technologies commerciales (nouvelles technologies évolution des modalités de paiement), évolution des stratégies de sécurisation alimentaire des populations, croissance de la commercialisation de la production agricole]. Ces évolutions sont aussi à comprendre dans une dynamique – hypothèse - de spécialisation croissance de l'activité commerciale, les commerçants d'aujourd'hui étant – hypothèse toujours – moins producteurs de denrées qu'ils ne l'étaient par le passé (enquête Courade, Janin, 2002).
- Les stratégies commerciales des commerçants : Il s'agira ici de comprendre précisément la construction des raisonnements commerciaux de ces acteurs en les replaçant dans leur contexte socioéconomique (poids de la famille dans la gestion du commerce, réseaux commerciaux d'appartenance...) pour appréhender finement les méthodes de gestion du commerce et comprendre les modalités de construction du profit commercial (acheter le moins cher possible et vendre le plus cher possible, gestion des coûts, de la main d'œuvre et des stocks...). Comment ses acteurs calculent-ils et profitent-ils du différentiel de prix entre zones de production et zone de consommation ? Est-ce que l'encastrement social des relations commerciales limite les raisonnements spéculatifs des commerçants ? Ces acteurs ont-ils d'ailleurs assez de fond de roulement pour se permettre de stocker et spéculer sur les produits qu'ils achètent et vendent ? Nous répondrons à ces questions en comparant les données deux enquêtes menées dans la même zone à 15 ans d'intervalle (Courade, Janin, 2002 ; Pinaud, 2016).
Ces questionnements permettront de document les nouvelles dynamiques marchandes dans les campagnes ouest-africaines. La centralisation sur ces acteurs intermédiaires permettra également de documenter plus globalement la recomposition des relations ville-campagne par l'étude systématique d'un groupe social au cœur de l'articulation entre ces deux espaces sociaux.