Atelier : "Les Marges du Rêve", Amalia Dragani et Pamela Millet.
Sur les marchés, chez les « libraires » de rue ou chez les vendeurs d'objets ésotériques, l'on peut trouver en Guinée un petit livret intitulé « Les rêves et les tremblements de toutes les parties du corps et leurs significations ». Ce petit cahier de quarante huit pages écrit par un certain Cheick Amhed Tidiane N'diaye en 2003 et édité à Conakry, présente deux réalités complémentaires du point de vue des significations qu'elles impliquent : la réalité du rêve et celle de l'écoute de son corps que tout à chacun pratique et qui interpellent toutes deux au quotidien les Guinéens.
Loin des rêves provenant d'entités tels que les nyiné (du terme djin arabe) ou les méléké (les anges) livrant des indices ou des recettes explicites concernant des savoirs occultes, ces rêves s'inscrivent dans des séries d'indices concernant la vie du rêveur ou de personnes proches voire d'un groupe territorial. Comme en témoigne sa coexistence avec les tremblements, le rêve est mis en rapport avec l'écoute de soi et de son corps, un champs de percepts donnant accès à des réalités d'ordre parallèle aux réalités visibles. Tout à chacun, quotidiennement, relève ainsi des situations sociales ou cosmologiques, des liens, directement associés à son corps desquels il est possible de tirer des interprétations qui informent et peuvent être associés à des choix à faire relativement à des actions en cours. Ce champs du réel intègrent de nombreuses situations impliquant des objets ou des sujets extracorporels. Par exemple voir son pied droit buter contre une racine en marchant doit inviter à remettre à plus tard une entreprise en cours. De ce point de vu cet événement donne à lire l'« ouverture de la chance » à travers le corps ou faudrait-il dire, de son corps. Mais comme les rêves et les tremblements du corps, ceux-ci n'indiquent pas uniquement la chance ou son contraire. Sans lien avec aucune action, il indique un état d'être ou une « position actancielle ».
A travers des situations d'entreprenariat nous pourrons questionner ces réalités telles que les pratiquent des guinéens de la côte pour mener leurs activités, mais aussi d'associer celles-ci aux pratiques occultes et à l'usage de secrets-cota - tel que les dalilu (McNaughton : 1982) coraniques ou des préparations, à base de végétaux, d'ordre « fétichiste ». Nous nous intéresserons par ailleurs aux explications en milieu Baga et Susu, insistant sur le fait que ces manifestations sont personnelles et qu'il faut réaliser un travail d'écoute de soi sur la longue durée pour comprendre, in fine, en quoi tel événement corporel, rêve ou tremblement - contredisant ainsi l'universalité des significations proposées par N'Diaye - constitue l'indice d'un sens qui n'est pas valable pour d'autres, ou qui change selon les moments de la vie. Ces indices témoignent d'un réel invisible auquel qu'il est nécessaire d'agencer par la médiation de sacrifices enchâssés dans une économie rituelle plus étendue de la personne et des groupes sociaux. Cette économie performe la réalité et si aucune explication ne peut être donnée par les acteurs concernant les finalités d'un sacrifice qu'indique N'Diaye, il est certain que sa réalisation apporte des dispositions avec lesquels il s'agit de s'ajuster.
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