L'écriture carcérale est souvent double. Elle est principalement à l'attention des familles. Elle a parfois pour destinataire l'administration française, quand la peine n'est plus supportable, qu'elle est trop longue et trop lointaine, S'y dessinent la personnalité, les désirs, les trajets de vie de quelques condamnés.
L'étude de cas que je propose ici trouve sa source dans les archives du bagne du Guyane conservée aux ANOM, où un petit nombre de condamnés issus des colonies de l'empire français purgèrent de longues peines d'enfermement. Pour un condamné algérien, la peine était de quinze ans et ont été retrouvées les lettres qu'il recevait de sa famille, réponse élusive à ses propres lettres. On y lit en creux les inquiétudes pour le dehors, familiales d'abord (comment vont les nièces ?) et sociales ensuite (quelle est l'atmosphère pour les algériens immigrés en France métropolitaine ces derniers mois?). On trouve également des réponses aux difficultés du dedans, par les demandes matérielles (tabac, laine pour un pull) et l'attente de la liberté - son frère a-t-il bien fait parvenir au Président de la République sa demande de grâce ?
Nous ne pouvons que supposer les questions, puisque nous n'avons à lire que les réponses. Après la mort de ce "bagnard", sa sacoche personnelle, contenant quelques dizaines de lettres écrites par ses deux frères vivant en France, a été conservé par l'administration pénitentiaire. Cette plongée dans le petit paquet qui accompagna cet homme pendant près de 9 années, est une opportunité de repenser la vie quotidienne des enfermés, la manière dont ils se pensent et dont leur familles les pense. On y voit une conversation où le pouvoir colonial et le régime carcéral contraignent la parole sans en décider le contenu.