Né d'abord de la lutte contre les traites et les esclavages, puis contre la colonisation, le panafricanisme fut une tentative de construire une autre image de l'Afrique que celle conçue pour désigner l'Autre à soumettre. Notre étude se focalise sur les deux figures qui ont contribué à faire évoluer cette image de l'Afrique. Il s'agit d'Adelaide Smith Casely-Hayford (1868-1960), fondatrice d'une école professionnelle de filles à Freetown, et de Jacqueline Ki-Zerbo (1933-2015), née Coulibaly, qui devint directrice d'Ecole Normale des jeunes filles à Conakry. Leurs parcours et leurs idées méritent d'être étudiés sous l'angle de la construction d'une nouvelle identité africaine, dans un contexte de développement du féminisme et à l'approche de la décolonisation. S'étant construite à travers les réseaux panafricains, elles ont essayé de faire évoluer l'identité des Africaines par leur éducation. Nous nous basons sur les écrits biographique et autobiographique d'Adelaide ainsi que l'entretien que nous avons effectué avec Jacqueline, complété par les articles de Tam-tam, l'organe de l'Association des Etudiants Catholiques Africains (AECA) pour illustrer le débat au sein du groupe dont elle fut membre.
Appartenant au milieu des élites lettrées, toutes les deux ont un parcours très mobile, se déplaçant d'un territoire, voire d'un continent à un autre, et embrassant les réseaux panafricains. Ainsi, après ses études en Europe et le retour dans sa ville natale Freetown, Adelaide fut la première Africaine à dispenser des discours en public aux Etats-Unis. Son projet d'école se trouva à la croisée des différents réseaux panafricains qui furent alors à leur apogée (Universal Negro Improvement Association, National Congress of British West Africa etc.). Suivant le parcours exemplaire d'une élite intellectuelle, de Bamako à Paris en passant par Dakar, Jacqueline rencontra des étudiants de différents territoires et partagea avec eux des réflexions sur l'avenir d'Afrique. Consciente de la solidarité panafricaine, elle quitta sa première fonction d'enseignante à Dakar pour Conakry, afin d'aider ce pays nouvellement indépendant à démarrer: «une leçon de panafricanisme», dit-elle.
Quant à leurs idées, tandis que l'école d'Adelaide avait pour vocation d'inciter le patriotisme africain à travers des manifestations culturelles « traditionnelles », la génération de Jacqueline fut confrontée davantage à la question de la rencontre des cultures africaine et occidentale. Dès lors, les femmes, jusqu'ici souvent associées à une image coloniale de l'Afrique idyllique, rurale et traditionnaliste, revendiquèrent une place dans la société moderne, avec une identité africaine « véritablement originale ». Dans le contexte de la décolonisation, ce fut également une lutte d'émancipation citoyenne. Devenue directrice de l'Ecole Normale des jeunes filles, Jacqueline concrétisa les réflexions qu'elle eut au sein de l'AECA, en montrant « à ces jeunes filles qu'elles étaient destinées à devenir des citoyennes d'un pays indépendant ».
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