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Dynasties politiques en Afrique et guerres d'héritiers au Sénégal (2000-2014)
Marie Brossier  1, *@  
1 : Université Laval [Québec]  -  Site web
2325, rue de l'Université Québec G1V 0A6 -  Canada
* : Auteur correspondant

En soulignant l'importance de croiser les approches disciplinaires afin d'explorer un objet considéré comme « non conventionnel » en science politique tout en réinvestissant l'étude des élites et de la représentation politique sur le terrain africain, cette communication propose d'étudier les conditions de formation de dynasties politique en Afrique pour appréhender les formes de transmission familiale du pouvoir politique comme modes spécifiques de succession politique à partir du cas du Sénégal.

Les États d'Afrique subsaharienne ont connu des vagues de contestation populaire dans les années 1990 (Bratton & Van de Walle 1997) qui ont conduit à la mise en place de processus de transition démocratique dont le bilan reste aujourd'hui mitigé (Akindès 1996, Gazibo 2005). En se demandant s'il existe une continuité entre les modes autocratiques de personnalisation du pouvoir et de longévité des dirigeants en exercice qui ont marqué les années 1970-1980 et les formes de succession père/fils qui apparaissent dans les années 1990-2000, cette communication veut questionner l'émergence de dynasties politiques à la tête de l'État. La rhétorique sur la « mode des fils » en Afrique est régulièrement mobilisée dans les médias pour expliquer les expériences de passation du pouvoir politique au sein d'une même famille à la tête de certains états africains (réalisées au Togo, Gabon, République Démocratique du Congo, Kenya; discutées en Guinée Équatoriale, Cameroun, République Centrafricaine, Burkina Faso; mises en échec au Sénégal, Malawi). Mais ce phénomène n'est ni spécifique à l'Afrique subsaharienne ni nouveau : il s'observe aussi bien en Amérique du Nord et du Sud, qu'en Europe, en Asie ou dans le monde arabe. La mise en place de familles à la tête de l'État dans différents régimes politiques dans le monde témoigne du fait que la transmission héréditaire du pouvoir politique ne s'opère pas seulement dans les régimes autoritaires et qu'elle n'est pas seulement propre à des sociétés perçues comme « archaïques » ou « exotiques ». Il s'agit dès lors de se demander si l'émergence de ces dynasties présidentielles constitue une reformulation des formes autoritaires d'exercice du pouvoir dans un contexte de démocratisation ou si elle souligne la dimension paradoxale du cadre démocratique, puisqu'il l'autorise, redéfinissant ainsi les frontières entre expérience démocratique et autoritaire.

En délaissant les approches classiques sur les processus de démocratisation (Przeworski et al. 2000, Guilhot 2001), nous nous appuierons sur les travaux qui portent sur les reconfigurations des pratiques de l'autoritarisme au sein de régimes démocratiques (Van de Walle 2007, 2009). La problématique de l'hybridité (Sklar 1993, Diamond 2000, Bratton 2001, Dabène et al. 2008) cherche à casser l'idée d'un « exceptionnalisme autoritaire » (Camau 2006) en proposant d'aller au-delà du raisonnement binaire autoritarisme/ démocratie, à identifier les « zones grises » de l'hybridité (Camau&Massardier 2009, Dabène et al. 2008) et à mettre en lumière des convergences et interdépendances existant entre fait politique du nord et du sud (Hyde and al. 2008). Malgré les travaux sur l'institutionnalisation du pouvoir politique en Afrique (Posner&Young 2007, Hartmann 2007), l'étude des « bricolages » constitutionnels et institutionnels a été délaissée (Van de Walle 2009, Villalon&Vondoepp 2005) et sera réinvestie ici pour comprendre comment les stratégies institutionnelles mises en place par les leaders politiques visent à assoir la circulation politique des membres de leurs réseaux familiaux. Il s'agit donc de dépasser la « téléologie de la démocratisation et de l'occidentalisation » (Dabène et al. 2008) en jetant un regard renouvelé sur les études sur les processus de démocratisation.

Après avoir identifié les pays faisant l'expérience de formation de dynasties présidentielles, l'analyse portera sur le cas du Sénégal où les tentatives de mise en place d'une dévolution familiale du pouvoir politique n'ont pas pour le moment débouché. Au cours des deux mandats présidentiels de son père Abdoulaye Wade (2000-2007-2012), la présence de Karim Wade sur la scène publique et politique s'est sans cesse accrue. Après avoir occupé le rôle de leader du lobby politique « La Génération du concret » pour soutenir l'élection de son père en 2000, Karim a été nommé Conseiller personnel du président en 2002 sur les projets de restructuration des infrastructures urbaine et économique. En 2004, il fait son entrée sur la scène internationale en devenant le président controversé de l'ANOCI (Agence pour l'Organisation de la Conférence Islamique). Sa première campagne pour l'accès à une mandature élective se solde par un échec aux élections locales de mai 2009. Il se voit alors offrir le poste de Ministre de la Coopération internationale, du Développement régional, des Transports aériens et des Infrastructures qui contrôle 46% du budget total de l'Etat. En octobre 2010, il obtient le poste recherché et exposé de Ministre de l'Energie en octobre 2010.

Macky Sall, ancien Premier Ministre sous Wade (2004-2007) longtemps considéré comme le fils tutélaire du Président Wade, est pourtant désavoué et ostracisé lorsqu'en tant que Président de l'Assemblée nationale (2007-2008) il cherche à cherche à convoquer Karim Wade, fils de Abdoulaye Wade, à l'Assemblée nationale pour audition sur sa gestion des fonds publics comme directeur de l'ANOCI (Agence nationale de l'Organisation de la conférence islamique). Face à son refus de démissionner de ses fonctions, son poste de numéro 2 du Parti Démocratique Sénégalais est supprimé, le mandat du président de l'Assemblée nationale réduit de cinq à un an, il est accusé de blanchiment d'argent, dossier pour lequel il obtient un non-lieu.. D'héritier, il devient opposant et se présente contre Wade aux élections présidentielles de février 2012 qu'il remporte au 2ème tour. Récusant toute « chasse aux sorcières », il enclenche une procédure contre Karim Wade pour délit d'enrichissement illicite entrainant une mise en demeure et sa mise en prison depuis avril 2013 avec son procès en cours depuis aout 2014 au sein de la très controversée Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI).

En appelant des regards multidisciplinaires croisés afin d'élargir la compréhension des rapports entre famille et politique hors de la boite à outils du patrimonial et du néo-patrimonial, cette communication veut participer au chantier d'une « politique des affects » dans le renouvellement du personnel politique et des élites au pouvoir. Il semble en effet impossible de se satisfaire d'une compréhension du politique uniquement en termes de rationalité dénuée d'affects, de passions et d'émotions (Braud 1996 et 2007, Traini 2009).

 

 

Notice biographique

 

Marie Brossier est professeure adjointe au département de science politique de l'Université Laval au Canada depuis 2012. Ses travaux portent principalement sur les reconfigurations des pratiques de la citoyenneté au Sénégal. Ils s'articulent autour de la sociologie des mouvements sociaux, la sociologie des institutions et de la politique comparée. Sa thèse de doctorat (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2010, dir. Gilles Dorronsoro) intitulée Quand la mobilisation produit de l'institution. Pratiques de la famille et organisations religieuses au Sénégal est en cours de publication aux éditions Karthala (collection Les Afriques).

Elle développe désormais un projet de recherche sur la transmission familiale du pouvoir politique en Afrique sub-saharienne (financement FQRSC Nouveaux Professeurs). Elle a co-dirigé plusieurs panels sur la question des rapports entre famille et politique, notamment au sein du Congrès de l'AFSP 2013 « Hérédité et compétition politique : le paradoxe de la transmission familiale du pouvoir politique dans les systèmes politiques concurrentiels » (ST25) et dirige un numéro spécial pour Critique international (à paraître automne 2016)

Elle participe à différents programmes de recherche collective qui portent sur les élections et la citoyenneté au Sénégal (financement Université Paris 1-Columbia University) et sur l'enjeu de l'internationalisation de l'éducation en Afrique (MOPRACS, financement Agence Nationale de la Recherche française - Université de Bordeaux). Elle est membre de l'Association des Chercheurs de la revue Politique africaine (ACPA). Marie.Brossier@pol.ulaval.ca


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